Matières illicites :  détecter pour protéger les personnes et les biens
Risque chimique, radioactivité, armes, explosifs, stupéfiants… la liste des matières illicites et dangereuses semble sans fin. Et si le risque peut paraître infime, les éventuelles conséquences de la non-détection sont telles qu’elles ne peuvent être négligées. Un véritable casse-tête pour le responsable sûreté, confronté à une menace potentielle dont il ignore la nature, mais qui se doit de faire les bons choix de détection pour protéger son site et les personnes qui s’y trouvent.
La détection de matières illégales et dangereuses ? L’offre de matériel est pléthorique : scanner de toutes natures, portiques de détection métalliques ou de radiations, spectromètres, caméra thermique de recherche et d’identification de gaz... Le matériel est de plus en plus mobile, léger, portatif. Les fabricants redoublent d’imagination pour offrir des appareils faciles à utiliser, fiables et surtout polyvalents.  Pouvoir détecter aussi bien les stupéfiants que les explosifs, ou les explosifs et les métaux est une priorité qui désormais ne s’adresse pas uniquement aux autorités de l’État pour le contrôle des frontières, des prisons ou des sites stratégiques. Aujourd’hui, les sites industriels, les banques, les hôtels sont aujourd’hui très demandeurs de matériels pour la protection de leurs biens et de leurs personnels.
Penser sa détection dans le cadre d’une protection plus globale
Pourtant comme le précise un fabricant de portiques, le matériel n’est pas tout : « Nous proposons du matériel extrêmement performant, en termes de portiques de détection de métaux et d‘explosifs, mais investir dans du matériel de qualité est un pur gaspillage si le personnel n’est pas formé à son utilisation et si l’installation n’est pas faite correctement.
À quoi sert d’installer un portique dans le hall d’un hôtel, si la personne a pu pénétrer jusque-là avec une arme ou des explosifs et provoquer des dommages irréversibles au niveau hall ? Ou comme on le voit parfois, d’avoir une entrée principale ultrasécurisée, avec un accès jardin ou livraisons ouvert aux quatre vents ? Le matériel de détection ne sera efficace que s’il fait partie d’un système global de sûreté, réellement pensé en fonction des risques.. »
Du matériel oui, mais surtout des hommes formés à la détection
Quant à la formation du personnel, elle est primordiale. Savoir lire un scanner, ajuster un détecteur de métal et pouvoir réagir en cas d’alerte est essentiel. La sûreté et la détection est avant tout une affaire d’hommes comme le signifie Marcel Iger, responsable clients Securitas groupe qui assure la sûreté d’un grand port marchand breton. « Sur un port international, les menaces sont extrêmement variées et très liées à la politique internationale. La détection est le travail quotidien de nos ACVS (agents chargés des visites de sécurité) qui ont une double accréditation préfectorale : ils sont habilités à procéder à des fouilles de bagages et de véhicules et à des palpations sur personnes. Notre travail se fait  en étroite collaboration avec les services de douane et de police des frontières. D’ailleurs, le taux de bagages et de passagers ou personnel portuaire contrôlés nous est imposé par le Ministère de l’Intérieur. La fouille est essentielle dans la recherche de matières suspectes, si nous sommes assistés par divers moyens technologiques : portiques de détection des métaux, scanner rayons X, détecteurs de CO2… rien ne remplace l’efficacité du contrôle visuel. Notre rôle est bien la détection de menaces et non l’intervention : si nous trouvons une arme ou un objet suspect, nous appelons immédiatement la douane ou la PAF qui prendra en charge le problème. »
utter contre la routine, une préoccupation constante
Et pour un port, quelle est la principale menace ? « Bien sûr, nous ne pouvons écarter aucun risque, mais le plus grand, s’exclame Marcel Iger, c’est la routine, qui entraîne une baisse de la vigilance. C’est la raison pour laquelle nous formons régulièrement nos ACVS d’une part à l’utilisation du matériel et d’autre part à la recherche et à la détection, avec des recyclages annuels et des exercices de mise en situation réelle. De plus, nous suivons à la lettre les préconisations de l’ISPS, (code international pour la sûreté des navires et installations portuaires, sorte de vigipirate international. Si aujourd’hui la menace en France est considérée comme faible, le débarquement de cargos en provenance de pays sensibles rehausse localement ce niveau, avec un contrôle accru des abords du navire et une zone de circulation limitée. »

4 questions à alain leclère,
Responsable du Pôle Sûreté et continuité d’activité au Grand Port maritime du Havre
Vous êtes le seul port français à avoir la certification ISO 28000 qui reconnait votre savoir-faire dans le management de la sûreté.
Qu’est-ce que cela apporte ?
C’est avant tout la reconnaissance de nos méthodes qui s’inscrivent dans une démarche dynamique de la sûreté. Ce qui importe ce sont les capacités d’anticipation avec la volonté de créer un espace sûr pour tous les utilisateurs du port du Havre et, d’une façon générale, sur les deux autres ports de l’axe Seine que sont Rouen et Paris *. Il n’y a pas d’activité commerciale pérenne si la sûreté ne suit pas.

Quelle place accordez-vous à la détection de matières illégales et dangereuses ?
Cette place est certes importante, mais ce n’est qu’un maillon de la chaine, qui implique l’ensemble des intervenants sur le port à tous les niveaux de sûreté. Le matériel technique n’a d’intérêt que s’il est accompagné de compétences humaines et de volonté partagée d’agir selon des procédures pertinentes. C’est-à-dire pour les utilisateurs avoir une protection périmétrique adéquate, un contrôle d’accès efficace, une vidéo-surveillance et un gardiennage. Plus tôt j’identifie ma menace, plus je suis fort et à même d’agir. Il faut souligner que le port a une surface équivalente à celle de Paris, partiellement imbriquée dans la ville du Havre, et le port doit assurer la protection de 150 km de voies routières, 200 km de voies ferrées, 22 ponts, 6 écluses.

Vous insistez sur l’aspect humain, aussi bien pour la détection que pour la sureté globale. Quels sont vos moyens ?
Au Havre nous avons une organisation tout à fait particulière : 130 agents de sûreté, ayant reçu des formations spécifiques, sont rattachés à l’autorité portuaire. Leur rôle est d’abord dissuasif par une présence permanente et visible. Ils assurent également la protection des ouvrages et cargaisons, mais ils interviennent également en première ligne dans le cadre légal pour contenir un incident ou une malveillance en attendant l’intervention des forces de l’ordre (police, gendarmerie, douanes) avec qui nous travaillons quotidiennement pour trouver des solutions innovantes pour améliorer la sûreté de l’espace portuaire.

Comment voyez-vous évoluer les menaces ?
Les grandes menaces terroristes sont toujours présentes avec plus ou moins de vigueur, mais les attaques informatiques qui sont une réalité confirmée pour les acteurs économiques, peuvent avoir des répercussions sur l’activité et la sûreté physique des sites, en permettant par exemple le passage de matières illicites et potentiellement dangereuses. C’est véritablement une menace que nous  prenons au sérieux et sur laquelle nous travaillons.
* Les ports du Havre, Rouen et Paris sont réunis depuis 2012 au sein du GIE HAROPA.
TÉMOIGNAGE : Pascal Henriey,
« Détecter la radioactivité, c’est protéger l’environnement, assurer la sécurité de son personnel
et certifier la qualité de l’acier produit »
« Il ne s’agit pour nous simplement de certifier à nos clients que l’acier que nous produisons à partir de ferrailles est exempt de radioactivité – une évidence – mais en tant qu’industrie lourde, nous avons également une responsabilité vis-à-vis du personnel et de l’environnement. Nous ne pouvons pas prendre le risque de contaminer l’ensemble de notre production, de polluer l’environnement et de mettre en danger notre personnel par négligence. C’est pourquoi, bien qu’aucune loi ne nous y oblige, nous avons installé des portiques de détection à l’entrée, et toute ferraille qui entre dans notre usine de Fos, est contrôlée. La ferraille que nous recevons provient essentiellement de la démolition de bâtiments en Europe, voire plus loin, et même si le cahier des charges exige un métal non-radioactif, il peut arriver que se glissent dans les lots des éléments non désirés, plus par inadvertance que par malveillance, tels que des anciens modèles de détecteurs de fumée, ou d’ionisateurs d’air qui contiennent des particules radioactives susceptibles de déclencher une alarme. En cas de déclenchement, le processus de sécurisation et d’isolement du chargement est mis en route et nous faisons appel à des équipes extérieures de spécialistes qui traitent le chargement suspect. Depuis la mise en place du dispositif, sur les 60.000 tonnes que nous recevons chaque année, nous avons eu deux alertes, et les analyses que nous faisons en sortie de production nous ont montré que la détection en amont était efficace, pour la qualité de notre production et la sécurité de tous. »
 TÉMOIGNAGE : Hélène Blein, directrice commerciale, Saphymo
" Radioactivité  : Détecter pour éviter la contamination "
« La circulation des matières radioactives augmente de manière sensible et il est important de pouvoir les détecter avant qu’elles n’entrent dans des processus de fabrication et ne contaminent les personnes, les produits ou l’environnement », explique Hélène Blein directrice commerciale de Saphymo, fabricant de portiques de détection de matières radioactives qui réalise un chiffre d’affaires de 20 Ml. Si on pense tout de suite aux centrales nucléaires, ce n’est pas le secteur le plus important de développement de cette gamme de produits. Hélène Blein : « Les centrales et centres de recherche nucléaires du parc français sont équipés depuis l’origine de portiques de détection, dont les nôtres, et assurent un contrôle rigoureux de ce qui entre et sort. Mais en parallèle, un certain nombre de secteurs installent des contrôles : l’industrie sidérurgique, les centres d’enfouissement technique, et surtout des usines d’incinération qui ne peuvent prendre le risque de contaminer l’environnement lors du traitement des déchets. En France, contrairement à la plupart des pays européens, on est obligé de s’assurer qu’aucune matière radioactive n’entre dans les centres de traitement des déchets ». Une augmentation des matières radioactives qui s’explique de plusieurs façons « Tout d’abord, avec l’ouverture de l’Europe à l’Est, souligne-t-elle, une plus grande circulation de marchandises en provenance de pays moins contrôlés. C’est notamment le cas des ferrailles et autres gravats issus de démantèlements de bâtiments. La source radioactive peut se trouver dans des paratonnerres qui n’ont pas été isolés, d’anciens détecteurs de fumée voire des sources provenant d’anciens bâtiments hospitaliers. Mais on a aussi, avec la multiplication des centres de radiothérapie et des traitements de médecine nucléaire, des déchets qui n’ont pas toujours été éliminés selon les procédures en vigueur, les patients négligeant parfois le protocole d’élimination des matières radioactives. Des sources médicales, heureusement avec une demi-vie brève, se retrouvent ainsi dans la nature ou plutôt aux portes des usines d’incinération. Il est important de les prendre en charge avant qu’elles ne diffusent dans l’atmosphère lors de l’incinération, avec le risque que cela présente pour le personnel et la population. Par ailleurs, de plus en plus d’industriels qui utilisent des matières recyclées (ferrailles) font appel à des contrôles ». Quel que soit le type d’établissement, si l’alarme du portique sonne, le véhicule suspect est isolé dans un périmètre de sécurité et des équipes spécialisées viennent identifier la source et prendre les mesures qui s’imposent.
Le chien, meilleur ami de la détection
Connu depuis des millénaires pour ses capacités olfactives, le chien ne sert pas seulement à lever le perdreau. Organismes gouvernementaux et entreprises de sécurité privée utilisent la truffe de l’animal pour repérer un grand nombre de substances illicites ou dangereuses, y compris à l’état de traces avec une efficacité qui n’a rien à envier aux spectromètres de pointes.
Qui a dit que l’argent n’avait pas d’odeur ? Sûrement pas Jasper Schoenmakers, président directeur général de K10Workingdogs, leader mondial dans le domaine des chiens de détection dont le siège est basé aux Pays-Bas. « Avec notre réseau de 200 chenils répartis dans le monde entier, nous sommes aujourd’hui le plus grand fournisseur de chiens de détection. Nous élevons des chiens qui peuvent pratiquement tout détecter. Stupéfiants bien sûr, tabac, explosifs, mais aussi les billets de banques ! Chaque année, plus de 700 chiens sortent de nos centres de formation pour faire la chasse aux matières illégales ! Depuis une dizaine d’années nous avons des demandes spécifiques et nous entrainons des chiens à la détection d’espèces protégées que ce soit d’animaux vivants qui génèrent un certain trafic, ou de matières interdites comme l’ivoire. Nos chiens peuvent être fournis déjà formés ou « verts. » , c’est-à-dire non formés, à des institutions qui ont leur propre centre d’entrainement. Nous travaillons avec une vingtaine de pays dans un grand nombre d’organisations gouvernementales pour le contrôle des frontières, les douanes, la défense, ou des organismes aussi prestigieux que le FBI. »
Identifier jusqu’à 500 000 odeurs différentes
Un centre d’entrainement aux Pays-Bas, un autre en Grande-Bretagne et plusieurs aux États-Unis, le président de K10Workingdogs, ne tarit pas d’éloges sur les avantages de ses chiens. « Un chien peut détecter jusqu’à 500 000 odeurs différentes, avec une finesse que pour l’instant aucun appareil électronique n’a pu égaler. Le chien détecte et s’il marque un lieu, une personne ou un objet, alors l’appareil pourra dire avec précision de quelle substance il s’agit. Un chien ne tombe pas en panne, n’a pas de problème de charge de batterie et passe presque partout. Dans l’arsenal de recherche de substances dangereuses ou illicites, il reste un des moyens de détections les plus efficaces. Nous coopérons d’ailleurs avec les gouvernements pour développer de nouveaux types de recherche. »  Aliments frelatés, médicaments contrefaits, les champs potentiels de recherche canine sont immenses et encore sous-exploités.
Stupéfiants :  la douane montre ses crocs
La douane française, elle, a choisi de former ses chiens dans son propre centre de La Rochelle. Les chiens, sélectionnés pour leurs capacités olfactives, sont entrainés très tôt « Leur entrainement commence par une phase de socialisation vers l’âge de deux mois et demi. Pour les stupéfiants, on commence à exposer les chiens à des odeurs de cannabis, les plus faciles à percevoir et les plus fortes, explique Alain Gadan, agent cynophile des douanes. Et peu à peu on mixe les odeurs, on introduit de nouvelles substances de moins en moins odorantes, mais qui sont décelables par un chien. À deux ans, le chien est capable de reconnaître la majorité des stupéfiants qui circulent, et nous faisons régulièrement des sessions d’entretien, et un recyclage approfondi tous les 3/4 ans.. »  Quels genres de chiens rejoignent la douane ? Des chiens à l’odorat très développé bien évidemment, mais cela ne suffit pas. « Il faut des chiens calmes, qui arrivent à se concentrer dans une atmosphère agitée ou bruyante. Et surtout des chiens joueurs ! La recherche doit s’apparenter à un jeu, trouver un stupéfiant, c’est la récompense assurée pour le chien !. »  Les stupéfiants ne sont pas les seules substances que recherchent les Douanes : les explosifs et depuis peu le tabac, font aussi partie des compétences des chiens douaniers.